Sabine Porada Témoignage
Esquisse de témoignage de l’architecte, chercheur, peintre et l’enseignant Sabine PORADA
Architecte et peintre diplômée de l'Institut d'Architecture de Moscou (Master of Science in Architecture), chercheur au CIMA et ARCIMA, enseignante à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles. Dans les années 76-94 chargée d'expérimentation des outils de CAO et de l'image de synthèse, appliquées à l'architecture au Centre de recherche CIMA (Centre de l'Informatique et de Méthodologie en Architecture, puis LAMI et EVCAU.
- 1985 : Décor virtuel de l’opéra télévisé de J.-B. Pergolèse «La Serva Padrona» - scénographie virtuelle, Mise en scène: Didier BRUNNER [1]; Scénographie : Sabine PORADA, FR3;
A partir de 1984 je m'orientais vers l'étude de la dramaturgie urbaine en tant que source d'inspiration pour la création architecturale, (voir article "La Scénographie Infographique", publié en 1987 dans la revue internationale et interdisciplinaire "L'imaginaire numérique", volume n°1, éd. HERMES).
Parallèlement avec l'équipe de réalisateur Didier BRUNNER, j'ai préparé la scénographie pour l'opéra télévisé de J.-B. Pergolèse «La Serva Padrona». Pour la première fois en France le décor devait être réalisé sur ordinateur en image de synthèse.
A cette époque héroïque de l'image de synthèse nous avons travaillé ensemble avec Michel BRET sur une même station de travail en continu 24 h. par jour, car on avait au CIMA un seul poste de travail image. La nuit il développait les nouvelles fonctions et au cours de la journée je les utilisais, en détournant souvent pour les besoins de création du décor. Les résultats ont étés toujours inattendus pour nous deux. Et tant mieux !
1985 : Décor virtuel de l’opéra télévisé de J.-B. Pergolèse «La Serva Padrona», Mise en scène: Didier BRUNER; Scénographie : Sabine PORADA, les effets spéciaux vidéo Y. CRAMER, FR3
Ce décor virtuel fonctionne sur une mode plus poétique que matériel.
Après sa réalisation, les acteurs de l'opéra - Valérie CHEVALIER (Serpina), Frederico DAVIA (Uberto), Philippe PILON (Vespone) - ont étés filmés sur le plateau de FR3 à Toulouse, accompagnés par l'ensemble baroque du Limousin.
La station de travail avec les images de décor a été aussi transportée sur place. Les images de synthèse s'animaient comme si ce décor a été un acteur additionnel de dramaturgie de cet opéra. Les acteurs réelles, évoluant sur le plateau vide bleu chromatique, ont étés capturés et incrustés directement dans les images du décor de synthèse par la régie vidéo. L'opéra a été réalisé pour la télévision et transmis le 22 décembre 1985 et 23 décembre 1986 par Canal+.
J'ai présenté les principes de conception de ce décor au colloque "L'Imaginaire numérique à Saint-Etienne le 17-19 avril 1986. (Voir : le livre [L'Imaginaire numérique - actes du colloque interdisciplinaire tenu pendant la Semaine internationale de l'image calculée Saint-Étienne 17-19 avril 1986 [2] /a183646/Alain-Renaud-L-Imaginaire-numerique] par Alain Renaud).
La scénographie virtuelle confirme l'idée qui a guidé les recherches sur la conception spatiale à l'époque, à voir : l'étude de la dramaturgie urbaine est à l'origine d'inspiration de création architecturale.
Mes films d'animation 3D : "Labyrinthe" 1987, "Nil Novi Sub Sole" 1990 et "Descente au Paradis" 1992 sont issues de nos travaux de recherche sur les outils d'aide pour la création architecturale.
Recherche depuis 1976
- 1976-80 : CIMA (Centre de l'Informatique et de Méthodologie en Architecture), chargée d'expérimentation des outils de CAO appliqués à l'architecture, contrats;
- 1992-94 : chercheur en infographie architecturale, contrat GIP-ACACIA;
- 1995 Organisation de la table ronde "Rapport de l'architecture avec l'image de synthèse", 18 fév. IMAGINA, MONTE-CARLO;
- 1994-95 : contrat de recherche Plan Construction et Architecture, chercheur à UP6, groupe de recherches LAMI; Chef du projet pour la recherche sur l'aide numérique à la création d'idée du projet
- depuis 1995 : chercheur au sein du groupe de recherches LAMI, puis EVCAU de l'école d'Architecture Paris - Val de Marne.
Principaux rapports de recherche
1985 : "Les deux aspects de la palette électronique", projet de recherche, CNRS;
1986 : "Langage de création et rhétorique de l'image de synthèse animée", Ministère de la Culture, Mission de la Recherche, direction scientifique J. ZEITOUN, chef du projet S. PORADA, avec participation de M. ARNOLD, M. BRET, C. LEBRUN; Ch. ROBIN;
1992 : "Image numérique comme instrument d'aide à la création architecturale", recherche expérimentale Plan Construction et Architecture, Sabine PORADA chef du projet, avec la participation de Michel PORADA, Bernard PELTIER, Didier DRUMMOND, 1992;
1994 : "Voir l'idée : aide à l'exploration des concepts architecturaux", recherche Plan Construction, Sabine PORADA chef du projet, avec la participation de Michel PORADA, Bernard PELTIER, équipe LAMI.
Outils d'aide pour la création architecturale
L'expérimentation des fonctions de logiciel Anyflo de Michel BRET au cours de conception des scénographie et projets réels, a permis de créer de 1984 à 1989 une série des logiciels dérivés : IKO et IKO-GRAPH, IKO-light et OPEN-DESIGN, (Spring, sur PC et SUN). Ce dernier était une variante de logiciel offerte aux Écoles d’Architecture pour la pédagogie de l'infographie.
La visée expérimentale de nos recherches sur l'image 3D correspondait parfaitement à leur objectif : concevoir les outils informatiques d'aide à la création spatiale. En abandonnant les étapes de production des plans et de communication du projet, nous nous sommes focalisé sur l'étape la plus créative - création d’esquisse du projet.
La conception de la scénographie directement sur l'écran nous a déjà montré que, si nous visons l'aide à la création spatiale dans des conditions de création directe sur l'écran, il faut développer les outils de l'image. L'expérimentation menée avec des architectes connus au cours des concours d'architecture a permis de démontrer qu'à cette étape l'architecte manie, non seulement les formes, mais également les couleurs, la lumière et les textures...
Pour concevoir, par exemple, la maquette informatique 3D pour ces images du concours d'idée sur le développement de ville nouvelle Melun-Sénart, nous avons utilisé les fonctionnalités des fractales, des particules, des motifs et des treillis 3D. Ainsi, au lieu de présenter des plans précis pour ce concours d'idées, ces images n'expriment que l'idée générale des axes de développement possible de future ville.
Pour affiner les besoins de création, nous avons continué l'expérimentation sur des projets réels. Voici quelques exemples de collaboration avec les architectes sur des projets de concours:
• 1987 - concours international pour l'aménagement de la nouvelle ville Melun-Sénart, architecte Alain SARFATI, en collaboration avec Coop Himmelb(l)au. Pour la première fois en France ce projet a été non seulement élaboré mais aussi présenté au concours en images de synthèse, projet lauréat.
• 1987 - concours pour le parc de Bercy, équipe AREA, (A. SARFATI);
• 1989 - concours international pour le pavillon de France à l'exposition universelle à Séville, équipe AREA, architecte Alain SARFATI ;
• 1988 - concours SAP, rénovation de façades d'HLM, Etoinie, équipe DUPUIS & LOUPIAS, projet lauréat;
• 1991 - concours pour "La rénovation de la salle de la Joconde du Louvre" et pour le projet "Porte du Nord de la France, équipe de Sylvain DUBUISSON ;
• 1994 - concours de "Grand Stade" St. Denis, équipe AREA, (A. SARFATI);
• 1996 - concours pour l'aménagement urbain de Stuttgart, équipe SARL (J.-F. JODRY), projet lauréat.
• Notre collaboration avec les différentes équipes d'architectes - Didier DRUMMOND, (Stade d’Évry et Quartier Stalingrad à Paris); Frank HAMMOUTENE (Porte de la Garonne), Mario BOTTA (Cathédral d’Évry), TITUS ("Sphinx")... - nous a permis de concevoir multiples fonctionnalités pour affiner et enrichir la maquette informatique tout au long de la conception du projet.
Inutile de dire que chaque expérimentation a été fructueuse aussi bien pour le développement de notre logiciel que pour les architectes qui ont participé à l'expérimentation. Il y a autant de façons d'utiliser l'informatique que d'architectes, chacun ayant une approche différente de création, chacun étant attiré par les fonctionnalités particulières de l'informatique. Ils reconnaissent de s'inspirer, tantôt des configurations géométriques insolites, tantôt de dimension poétiques, heuristique et évocatrice de ces images, tantôt de l'aspect dématérialisé et transparente de l'écran. Les nouvelles possibilités qu'ils découvraient dans cette technologie deviennent vite très à la mode en architecture elle-même. Il suffit de lire les écrits de l'époque dans les revues d'architecture. Le bulletin spécial d'information de l'Ordre des architectes, "Architecture & Informatique" mai 1988, est consacré à ces témoignages et à la comparaison des approches et des logiciels pour l'architecture.
Dans le revue "Architectes et architecture" n°188, juin 1988, nous pouvons lire une remarque tout à fait significative pour cette époque en France : "Alain SARFATI par exemple s'est propulsé directement dans l'image numérique, brûlant toutes les étapes de la CAO, pour brosser ses projets de concours avec IKO Light, le logiciel image développé par le CIMA, en s'attachant à recréer avec Sabine PORADA ce "flou" propice à l'esquisse".
Comme s'il pouvait, et même devait, commencer par la CAO. Dans ce projet pour le concours international de pavillon de France à l'exposition universelle à Séville, Alain SARFATI à commencé par l'image, faisant la référence à son idée, pour à travers plusieurs schémas arriver à élaborer son projet. La maquette informatique suivait cette évolution tout au longue de la conception.
Nous voyons bien que l'apparition des logiciels de CAO et de DAO, précédant l'avènement des logiciels d'images de synthèse, a bien inversé les étapes usuelles de conception architecturale. Seuls les architectes pouvaient comprendre la différence entre les outils de la création d'idée et les outils de production du projet et de sa communication, mais à l'époque ils n'en connaissaient pas l'usage. D'où la réticence de certains architectes comme Claude PARENT, qui se plaignait que son équipe commence à produire en DAO les plan du projet pour lequel il n'a pas encore achevé les esquisses.
Nos expérimentations, menées avec les architectes ont été largement exposées dans deux recherches pour le Plan Construction et Architecture :
" 1992 : "Image numérique comme instrument d'aide à la création architecturale", recherche expérimentale Plan Construction et Architecture, Sabine PORADA chef du projet, avec la participation de Michel PORADA, Bernard PELTIER, Didier DRUMMOND, 1992;
" 1994 : "Voir l'idée : aide à l'exploration des concepts architecturaux", recherche Plan Construction, Sabine PORADA chef du projet, avec la participation de Michel PORADA, Bernard PELTIER, équipe LAMI
Les équations mathématiques et les nouveaux espaces
Architecte moi-même, j'ai pu assez rapidement me rendre compte des nouvelles possibilités qu'ouvrait informatique à la création architecturale. La liberté formelle qu'on peut voir en architecture actuelle est apparue en grand partie grâce l’influence et les formidables retombés de l'informatique.
L'approche langagière de logiciel de Michel BRET permettait la visualisation des équations mathématiques. En les explorant et en essayant d'habiter leurs surfaces : bandes de Möbius, surfaces de Boy, surface d'Enneper [3]..., déjà à l'époque j'ai vu ces potentialités comme une nouvelle liberté de création spatiale. Quel bonheur pour un créateur d'espace !
Pour que ces modèles puissent avoir prise en architecture, pour savoir comment les habiter, il a fallu d'abord maîtriser la puissance des mathématiques par la force de l'imagination poétique.
Ainsi l'animation "Labyrinthe" montre un parcours de trajectoire formée d'une bande Möbius par des petites bandes Möbius dans une perspective paradoxale à l'Escher.
Dans l'animation "Nil novi sub sole" les oiseaux sont faites d'assemblage des surfaces de Boy et Surface d'Enneper dansent dans un espace paradoxal à la Escher.
L'animation "Descente au Paradis" fait voir une "Cosmoville", entourant la planète Terre - structure constituée de surface Enneper habillée des motifs 3D, parcouru de l’extérieure vers son centre.
Ces animations nous donnent l'occasion de découvrir les formes inaccessibles auparavant. Mais à l'époque nous étions persuadés qu'elles sont potentiellement réalisables, et cela va se réaliser effectivement avec l’avènement de fabrication numérique. C'est la naissance des formes sérielles qui sont à la base de l'architecture de Greg LYNN et d'autres. Aujourd'hui, non seulement l'architecte peut les représenter, mais il peut les réaliser, en termes constructif et économique.
Ainsi nous arrivons à la conception d'esquisse d'un projet directement sur l'écran : de l'idée à l’élaboration de structure.
L'image montre l'exemple d’application des motifs 3D pour le projet du stade au cours de sa conception : de la première idée ("Cratère") à l'élaboration des éléments de structure. La déformation automatique des motifs par rapport à la trajectoire de la courbe du stade, fait de cette opération un outil "pure" d'aide à la conception, calcul et fabrication numérique des éléments de structure aujourd'hui. Mais il s'agit d'un projet fait en 1992 - Stade d’Évry et Quartier Stalingrad à Paris de Didier DRUMMONT.
L'approche langagière du logiciel, voulu par Michel BRET, à ouvert aux architectes les potentialités inattendu pour découvrir et explorer des espaces et des formes inédites. Mais la nécessité d'apprendre un langage a fermé les portes à leurs esprits, non régulièrement dotées des aptitudes langagières. Cela explique, en partie, le fait que les logiciels élaborés au CIMA (IKO, IKOgraph...), tout en étant les précurseurs des logiciels actuels, n'existent plus actuellement.